

Sarkozy, "commanditaire" d'un pacte de corruption "indécent" avec Kadhafi, selon le parquet financier
Nicolas Sarkozy est le "véritable décisionnaire, le véritable commanditaire" d'un pacte de corruption "inconcevable, inouï, indécent", noué avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi pour qu'il finance sa campagne présidentielle 2007, a martelé le parquet financier pendant ses réquisitions contre l'ancien président et ses 11 co-prévenus.
Le procureur financier Quentin Dandoy venait de se lancer dans une longue démonstration, frise chronologique projetée à l'écran à l'appui, pour expliquer comment un pacte de corruption avait selon lui été mis en place par les deux plus proches collaborateurs de l'ex-président, Claude Guéant et Brice Hortefeux, à Tripoli.
"Tout y est !", scande-t-il, plusieurs fois, sous le regard tendu de l'ancien chef de l'État.
"On vous dit qu'il n'y a aucun élément matériel démontrant que Nicolas Sarkozy aurait donné quelconque instruction à ses collaborateurs ou même qu'il aurait été en contact avec les dignitaires libyens. Bien évidemment !", lance le procureur. "Tout est précisément organisé, pensé pour que jamais il n'apparaisse".
Il revient sur les explications "extravagantes" données à la barre par Claude Guéant et Brice Hortefeux pour expliquer la rencontre fin 2005 avec le beau-frère de Mouammar Kadhafi, Abdallah Senoussi, pourtant condamné en France à la perpétuité pour terrorisme. Un "piège" avait dit Claude Guéant, un "guet-apens", selon Brice Hortefeux, dont ils n'avaient pourtant parlé à personne.
"On se moque de vous !", lance le procureur au tribunal.
Envoyer "ses deux plus intimes collaborateurs" pour "négocier ce pacte de corruption", est "la démonstration de son implication totale en tant que commanditaire", soutient le magistrat, demandant la condamnation des trois hommes pour corruption et association de malfaiteurs.
"Comment imaginer que ses plus proches collaborateurs aient pu agir pour son compte, dans son propre intérêt mais à son insu ? C'est insensé, inconcevable !", dit-il.
Claude Guéant et Brice Hortefeux - absents à l'audience du jour - se sont vu confier le rôle "d'hommes de mains", "jusque dans cette salle d'audience, où ils se sont retrouvés en première ligne, éprouvant les pires difficultés pour tenter d'expliquer l'inexplicable, tout en prenant bien soin de maintenir Nicolas Sarkozy à distance", ajoute-t-il, alors que l'ancien chef de l'État bouillonne sur sa chaise.
- "Intime conviction" -
Avant lui, le deuxième procureur financier, Philippe Jaeglé, avait dans un propos introductif qualifié le pacte d'"inconcevable, inouï, indécent".
Parce qu'il a été "conclu avec (un) régime sanguinaire", avec "pour objectif de soutenir financièrement la campagne" de "celui qui deviendra le 6e président de la Ve République", a-t-il déclaré.
Mais aussi car ce pacte "aurait pu vicier le résultat" de l'élection présidentielle de 2007 et qu'il "risquait de porter atteinte à la souveraineté et aux intérêts de la France", a-t-il poursuivi, face à l'ancien chef de l'État, 70 ans, qui prend des notes, les genoux agités.
Le parquet national financier (PNF) n'avait pas de "positionnement figé" avant le procès, a-t-il assuré. Mais les dix semaines de débats, marquées par les "explications extravagantes" des trois anciens ministres et de l'ancien président prévenus, ont "renforcé" et "transformé ce positionnement en intime conviction".
Il a souligné que ce dossier avait été "émaillé de mensonges, interférences, manipulations", notamment de la part de l'ex-locataire de l'Élysée pour empêcher l'avancée de l'enquête - il a "fallu déminer, écarter les fausses pistes".
Le procureur a balayé l'un après l'autre les principaux arguments de la défense, au premier chef la thèse d'une "vengeance" des dignitaires libyens après l'intervention internationale - notamment dirigée par Nicolas Sarkozy - et qui fera tomber le régime fin 2011.
Les réquisitions doivent durer jusqu'à jeudi soir. Le montant des peines requises doit être formulé, comme il est d'usage, à la toute fin.
Nicolas Sarkozy a toujours clamé son innocence. "J'ai eu l'impression qu'on était parti du postulat +Sarkozy coupable+", que "l'enjeu" n'était plus la "recherche de la vérité" mais pour le parquet financier de "ne pas perdre la face", avait encore affirmé l'ex-président à la barre la semaine dernière.
Jugé pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, il encourt 10 ans de prison et 375.000 euros d'amende, ainsi qu'une privation des droits civiques (donc une inéligibilité) allant jusqu'à 5 ans.
P.J.Cole--MC-UK