Kenya: l'escrime, espoir de salut pour des adolescents d'un bidonville de Nairobi
"En garde, prêt, allez": sur une route boueuse d'un bidonville de la capitale kényane Nairobi, Mburu Wanyoike lance ses commandements à une troupe d'adolescents en tenue blanche et masques d'escrimeurs.
Chaque semaine, il entraîne des dizaines de jeunes avec l'espoir que, comme pour lui, ce sport les détourne de la misère et de la criminalité qui les guettent à Mathare, quartier pauvre de plusieurs centaines de milliers d'habitants.
Mburu Wanyoike, 27 ans, y est né et y a grandi. Il y a encore dix ans, "j'étais dans le crime, j'étais un gangster", déclare-t-il, racontant sans détour comment il a été blessé par balles et a perdu deux amis.
Il a trouvé son salut dans l'escrime, après avoir été repéré par un entraîneur.
Une bourse l'emmènera même en Afrique du Sud, où il obtient son diplôme d'entraîneur avant de revenir fonder un club, le Tsavora Fencing Mtaani, dans son bidonville natal en 2021.
A Mathare, "la seule chose qu'ils (le jeunes) peuvent faire, c'est se livrer au crime, se droguer et, pour les femmes, se prostituer", résume-t-il.
Un de ses élèves, Dixon Mumia, confirme. "Je n'étais pas un garçon sympa. Je volais", confesse l'ado de 17 ans.
Sa rencontre avec Mburu Wanyoike a tout changé. "Mon entraîneur est venu chez moi et il a dit à mon père de me laisser faire ça (l'escrime) parce qu'en faisant ça, je pouvais changer ma vie. (...) Et je me suis vu changer", affirme-t-il.
- Moqueries -
"Je suis né ici, mais je ne veux pas rester ici", lance-t-il, racontant faire fi des regards critiques et moqueries sur un sport inconnu dans son quartier.
"Quand mes amis (me) voient, ils rient. Ils disent que c'est une perte de temps, que ce sport est pratiqué par les riches", relate-t-il.
Le revenu quotidien moyen à Mathare est d'environ 2 dollars (1,85 euro), selon EduKenya, une organisation caritative chargée de l’éducation travaillant dans le bidonville.
Aucun habitant ne peut se permettre les 2.500 dollars (environ 2.300 euros) annuels nécessaires pour participer aux entraînements et compétitions d'escrime, selon une estimation de Mburu Wanyoike, qui s'emploie à collecter des fonds pour mener à bien son projet.
Après s'être échauffés dans un centre communautaire - les récentes inondations au Kenya ayant détruit leurs terrains d'entraînement - les escrimeurs partent s'entraîner dans la rue, dans le vrombissement des moteurs des matatus (taxis collectifs), sous les regards intrigués de passants et d'enfants captivés.
Des élèves se chamaillent pour un point jugé litigieux. Mburu Wanyoike intervient.
Contemplant ce joyeux bazar, l'une des élèves, Eline Marendes, sourit. "Ils sont comme des enfants, mais ils sont comme mes frères", lâche l'adolescente de 16 ans, l'une des grandes espoirs du groupe.
Elle faisait de la danse avant de découvrir l'escrime, sport dans lequel elle excelle désormais, malmenant parfois son entraîneur lors de combats d'entraînement.
"Au début, je pensais que c'était un sport très dangereux, je pensais que nous allions nous faire du mal", souligne la jeune femme, qui a elle aussi grandi à Mathare.
"Je me considère comme une très grande escrimeuse", ajoute-t-elle, se prenant à rêver: "Peut-être que dans deux ans, je gagnerai de l'argent grâce à l'escrime".
L.Gastrell--MC-UK