Russie: 6 ans et demi de prison pour une journaliste russo-américaine jugée en "secret"
La journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva a été condamnée à six ans et demi de prison pour des écrits sur l'offensive russe en Ukraine, a annoncé le tribunal lundi, son employeur dénonçant lui un procès "secret" et une "parodie de justice".
D'ordinaire, même dans les affaires jugées à huis clos, l'audience du verdict est annoncée à l'avance par les tribunaux. Ce ne fut pas le cas pour cette affaire, selon les proches de la journaliste, alors que la Russie a engagé une répression tous azimuts des critiques du Kremlin et de son offensive en Ukraine.
"Vendredi, la condamnation d'Alsu Kurmasheva a été prononcée. Six ans et demi", a indiqué de manière laconique Natalia Losseva, la porte-parole du tribunal de Kazan, au Tatarstan, une république du centre de la Russie, qui a rendu le verdict.
Cette décision a suscité la colère de Radio Free Europe, Radio Liberty (RFE/RL), un média financé par les Etats-Unis depuis l'époque de la Guerre Froide et aujourd'hui basé à Prague.
"Ce procès secret et cette condamnation sont une parodie de justice. La seule conclusion juste serait la libération immédiate d'Alsu", a réagi Stephen Capus, président de RFR/RL.
Le mari de la journaliste, Pavel Butorin, avait lui aussi dénoncé vendredi sur X le "secret" imposé par la justice russe sur cette affaire, "bien qu'Alsu ne soit pas accusée d'espionnage ou de trahison".
"Sa famille n'a pas été informée de la date du procès ni des +preuves+ de la +culpabilité+ d'Alsu. Ses ravisseurs doivent être gênés de divulguer toute information relative aux poursuites", a-t-il dénoncé.
Mme Kurmasheva a donc été condamnée le même jour que le reporter américain Evan Gershkovich, qui a lui écopé de 16 ans de prison pour des accusations d'espionnage que la Russie n'a jamais étayées, l'ensemble de la procédure ayant été classée secrète.
Agée de 47 ans, la journaliste avait été arrêtée en Russie en octobre 2023 au cours d'un voyage d'ordre privé.
- Monnaie d'échange -
Elle a d'abord été accusé de ne pas s'être enregistrée en tant qu'"agent de l'étranger", qualificatif infamant qui impose aux personnes ou entités visées de lourdes contraintes administratives.
Puis elle a également été accusée de diffusion de "fausses informations" sur l'armée russe, un crime passible de 15 ans de prison.
La journaliste, qui résidait avant son arrestation à Prague avec son mari et ses deux filles adolescentes, était allée en Russie pour rendre visite à sa mère malade le 20 mai 2023 mais n'avait pas pu repartir, ses passeports américain et russe lui ayant été confisqués. Quelques mois plus tard, elle fut arrêtée.
D'après des médias russes, l'accusation de diffusion de "fausses informations" portée contre elle est liée à sa participation à la publication d'un livre de témoignages de Russes opposés à l'offensive en Ukraine.
Alsu Kurmasheva, qui a rejoint RFE/RL en 1998, travaille pour son service en langues tatare et bachkire, couvrant ces minorités ethniques de Russie peuplant en particulier le Tatarstan et le Bachkortostan (centre), des régions de la Volga et de l'Oural.
La Russie a engagé une répression sans merci des détracteurs du Kremlin et de son offensive contre l'Ukraine.
Washington accuse aussi Moscou de procéder à des arrestations injustifiées de citoyens américains pour pouvoir les échanger contre des Russes détenus en Occident.
Evan Gershkovich, qui travaille pour le Wall Street Journal et était passé par le bureau de Moscou de l'AFP, avait lui été arrêté en mars 2023 en plein reportage à Ekaterinbourg, dans l'Oural. C'est là-bas qu'il a été condamné vendredi, à l'issue d'un procès expéditif.
Moscou a admis négocier sa libération et Vladimir Poutine a évoqué lui-même le cas du Russe Vadim Krassikov, en prison en Allemagne pour un assassinat commandité attribué aux services spéciaux russes.
Plusieurs journalistes russes sont également en prison en Russie, tout comme une multitude d'opposants, d'activistes et d'anonymes.
W.Elffire--MC-UK